DIVERTIR LES GENS AU MOYEN AGE









Au Moyen-Age, les occasions de se divertir sont rares. Les paysans doivent s'occuper de leurs champs, de leur ferme, de leurs animaux, les marchands vendent leurs marchandises toute la journée, les femmes doivent s'occuper de leur logis.

Les difficultés de l'existence quotidienne se rappellent à chacun: les maladies mortelles, que les médecins ne savent pas encore soigner( la médecine était très médiocre à cette époque), la faim que les paysans ne peuvent pas éviter si les plantes ont mal poussé, la guerre qui s'installe sur tous le pays... Toutes ces besognes ne donnent pas le temps pour se détendre. Pour oublier tous leurs soucis, les hommes les oublient le temps d'une soirée ou d'une fête.

Au Moyen-Âge, jongleurs et troubadours se déplacent de villages en villages pour divertir les personnes, ils composent ou apprennent par coeur les fabliaux qui sont de petits textes, très courts, et très simple à comprendre pour des spectateurs sans instruction.

Les fabliaux rencontrent un succès qui ne se dément pas au cours des derniers siècles du Moyen-Âge parce qu'ils sont proches des préoccupations de chacun et se jouent dans des lieux familiers, par exemple dans une maison,, une église, une taverne...Ils impliquent des personnages auxquels il est facile de s'identifier. Les fabliaux abordent les soucis de la vie quotidienne ce qui les rend accessibles et très populaires. Ils exposent les défauts humains et tournent en ridicule ceux qui le méritent : de la femme infidèle, au prêtre ignorant et coquin, de l'évêque enrichi au bourgeois avare, du paysan stupide...

L'intrigue de l'histoire est nécessairement simple et claire pour être comprise de tous. Les troubadours ne se bornent pas à débiter les lignes qu'ils ont apprises. Les artistes utilisent l'espace, miment les attitudes comiques, imitent la voix d'un personnage, se servent des accessoires les plus divers.

 
 Voici encore un exemple de fabliau

 

Les Trois bossus

Les Trois bossus
À Douai donc vivait un bourgeois, sage et prud’homme, estimé de tout le monde pour sa probité. Malheureusement, il n était pas riche, mais il avait une fille si belle, si belle, qu’on venait par plaisir la regarder ; et, à vous dire vrai, je ne crois pas que Nature ait jamais formé créature plus accomplie.
Le maître du château dont je vous ai parlé était un bossu. Nature s’était amusée aussi à former ce petit bijou-là. Il est vrai que ce n était pas tout à fait sur le même modèle que la belle bourgeoise ; mais à défaut d’esprit, elle avait donné au magot une grosse tête, et cette tête, qui venait se perdre entre deux hautes épaules elle l’avait armée d’une crinière épaisse, d’un col court, d’un visage à faire reculer d’effroi. Tel était en abrégé le portrait du châtelain. Peut-être dans toute votre vie n’en verrez-vous pas un semblable.
Malgré sa difformité, cet épouvantail s’avisa néanmoins d’aimer la pucelle. Il fit plus : il osa la demander en mariage ; et comme il était le plus riche du canton, car il avoit passé sa vie à entasser denier sur denier, la pauvrette lui fut livrée. Hélas ! Il n’en devint que plus à plaindre. Horriblement jaloux et d’ailleurs trop bien convaincu de sa laideur, il n’eut plus de repos ni le jour ni la nuit. Il allait et venait sans cesse, rôdant, espionnant partout et ne laissant jamais entrer chez lui que les personnes qui apportaient quelque chose.
Une des fêtes de Noël qu’il était ainsi en sentinelle à sa porte, il se vit abordé tout à coup par trois ménestrels bossus. Les chanteurs avaient fait la partie de se réunir tous les trois pour venir lui faire niche et s’amuser à ses dépens. Ils le saluèrent comme confrère, lui demandèrent en cette qualité de les régaler et, en même temps, pour constater la confraternité, tous trois présentèrent leur bosse. Cette plaisanterie qui devait, selon toutes les apparences, être fort mal reçue du sire, par événement le fut pourtant assez bien. Il conduisit les ménestrels à sa cuisine, leur servit des pois au lard et un chapon, et leur donna même en sortant vingt sous parisis. Mais quand ils furent à la porte, il leur dit « Regardez bien cette maison et, de votre vie, ne vous avisez pas d’y mettre le pied car, si jamais je vous y attrape, vous voyez cette rivière, pour le coup c est là que je vous ferai boire. »
Nos musiciens rirent beaucoup de ce propos du châtelain, et ils reprirent le chemin de la ville, dansant d’une manière burlesque et chantant tous trois à tue tête pour le narguer. Quant à lui, sans faire à eux la moindre attention, il alla se promener dans la campagne.
La dame, qui le vit passer le pont et qui avait entendu les ménestrels, les appela dans le dessein de se distraire un moment en les faisant chanter. Ils montèrent. On ferma les portes, et mes gens aussitôt de débiter à l’envi, pour égayer la châtelaine, tout ce qu ils savaient de mieux. Déjà la dame entrait en gaîté, quand tout à coup on entend frapper en maître : c’était l’époux qui revenait. Les bossus alors se croient perdus, la femme est saisie de frayeur, et en effet tous quatre avaient également à craindre. Celle-ci heureusement aperçoit près du lit, dans une pièce voisine, trois coffres qui étaient vides. Elle place dans chacun un bossu, ferme sur eux les couvercles, et va ouvrir à son mari.
Il ne rentrait que pour espionner sa femme, à l’ordinaire. Aussi, dès qu’il fut resté un peu de temps auprès d’elle, il sortit de nouveau et vous croyez bien qu’elle n’en pleura pas. À l’instant elle courut aux coffres pour délivrer ses prisonniers, car la nuit approchait et son mari, par conséquent, ne devait pas tarder à revenir. Mais quelle fut sa douleur quand elle les trouva tous trois morts et étouffés ! Peu s’en fallut qu’elle ne souhaitât mourir aussi elle-même. Au reste, toutes les lamentations possibles n’eussent remédié à rien. Il fallait au plus tôt se débarrasser des trois cadavres, et il n y avait pas un moment à perdre.
Elle courut donc à la porte et, voyant passer un gros paysan :
« Ami, lui dit-elle, veux tu être bien riche ?
— Oui, douce dame. Essayez un peu vous, verrez si je l’endurerai.
— Eh bien, je ne te demande pour cela qu’un service d’un moment, et te promets trente livres en belles et bonnes pièces ; mais il faut auparavant me jurer sur ton Dieu de me garder le secret. »
Le paysan, que tenta la somme, fit tous les serments qu’on voulut. La châtelaine alors le conduisit à sa chambre et, ouvrant le premier des coffres, elle lui dit qu’il s’agissait de porter ce mort à la rivière. Il demande un sac, y met le bossu, va le précipiter du haut du pont puis revient tout essoufflé chercher son paiement.
« Je ne demandais pas mieux que de vous satisfaire, répartit la dame, mais au moins vous conviendrez qu’il faut avoir rempli nos conditions. Vous êtes convenu, n’est-ce pas, de me débarrasser de ce cadavre ; le voici encore cependant, regardez vous même. En même temps, elle lui montre le second coffre où était un autre bossu. À cette vue, le manant est stupéfait : « Comment diable ! Est-il donc revenu ?, dit il, je l’avais bien jeté pourtant. C’est sûrement quelque sorcier mais, parbleu, il en aura le démenti et fera encore une fois le saut périlleux. » Il fourre aussitôt dans le sac le second bossu et va le jeter, comme l’autre, à la rivière, ayant grand soin de lui mettre la tête en bas et de bien regarder s’il tombe.
Pendant ce temps, la dame dérangeait les coffres vides et les changeait encore de place, de façon que le troisième, qui était plein, se trouva ainsi être le premier. Quand le villageois rentra, elle le prit par la main et, le conduisant vers le mort qui restait, lui dit : « Vous aviez raison mon cher, il faut que ce soit un sorcier, et l’on n a jamais rien vu de semblable. Tenez, ne le voilà-t-il pas encore ? » Le villain grince les dents de rage. « Eh quoi ! Par tous les diables d’enfer, je ne ferai donc, dit-il, que porter tout le jour ce maudit bossu, et le coquin ne voudra pas mourir ! Oh, par le cudieu, nous verrons ! » Il l’enlève alors avec des jurements effroyables et, après lui avoir attaché une grosse pierre au cou, va le lancer au beau milieu du courant en le menaçant sérieusement, s’il le retrouve une troisième fois, de le faire expirer sous le bâton.
Le premier objet qu il rencontre à son retour est le maître du logis qui rentrait chez lui. À cet vue mon vilain ne se possède plus de fureur. « Chien de bossu, te voilà donc encore, et il ne sera pas possible de se dépêtrer de toi. Allons je vois qu’il faut t’expédier tout de bon. » Il court aussitôt sur le châtelain qu’il assomme et, pour l’empêcher de revenir, il le jette à la rivière enfermé dans le sac.
« Je gage que vous ne l’avez pas revu ce voyage-ci », dit le manant à l’épouse quand il fut remonté. Elle répondit que non. « Il ne s’en est morbleu guère fallu, ajouta-t-il, et déjà le sorcier était à la porte. Mais j’y ai mis bon ordre ; soyez tranquille dame, je vous garantis qu il ne viendra plus. »
Il n’était pas difficile de deviner ce qu’annonçait ce propos. La dame, en effet, ne le comprit que trop bien, mais le malheur était fait, il fallut qu elle s’en consolât. Du reste, elle paya très exactement au vilain ce qu’elle lui avait promis, et jamais peut-être ni l’un ni l’autre n’eurent une journée plus heureuse.
 

Exemple de fabliau :

 

Brunain la vache au prêtre (français moderne)




La bibliothèque libre.

    
C’est d’un vilain et de sa femme
que je veux vous raconter l’histoire.
Pour la fête de Notre-Dame, ils
allaient prier à l’église. Avant
de commencer l’office, le curé
vint faire son sermon ; il dit
qu’il était bon de donner
de tout son cœur au Bon Dieu et que celui-ci vous rendait le double.
« Entends-tu, belle sœur, ce qu’a dit le
fou ? » fait le vilain à sa femme.
« Qui pour Dieu donne de bon cœur
recevra de Dieu deux fois plus.
Nous ne pourrions pas mieux employer
notre vache, si bon te semble,
que de la donner au curé.
Elle a d’ailleurs si peu de lait.
— Oui, sire, je veux bien qu’il l’ait,
dit-elle, de cette façon. »
Ils regagnent donc leur maison,
et sans en dire davantage.
Le vilain va dans son étable ;
prenant la vache par la corde,
il la présente à son curé.
Le prêtre était fin et madré :
« Beau sire, dit l’autre, mains jointes,
pour Dieu je vous donne Blérain. »
Il lui a mis la corde au poing,
et jure qu’elle n’est plus sienne.
« Ami, tu viens d’agir en sage,
répond le curé dom Constant
qui toujours est d’humeur à prendre;
Retourne en paix, tu as bien fait ton
devoir: si tous mes paroissiens étaient
aussi avisés que toi, j’aurais du bétail
en abondance. » Le vilain prend congé
du prêtre qui commande aussitôt
qu’on fasse, pour l’accoutumer, lier
Blérain avec Brunain, sa propre vache.

Le curé les mène en son clos,
trouve sa vache, ce me semble,
les laisse attachées l’une à l’autre.
La vache du prêtre se baisse,
car elle voulait pâturer.
Mais Blérain ne veut l’endurer
et tire la corde si fort
qu’elle entraîne l’autre dehors
et la mène tant par maison,
par chènevières et par prés
qu’elle revient enfin chez elle,
avec la vache du curé
qu’elle avait bien de la peine à mener.
Le vilain regarde, la voit ;
il en a grande joie au cœur.
« Ah ! dit-il alors, chère sœur,
il est vrai que Dieu donne au double.
Blérain revient avec une autre:
c’est une belle vache brune.
Nous en avons donc deux pour une.
Notre étable sera petite ! »

Par cet exemple, ce fabliau nous montre
que fol est qui ne se résigne.
Le bien est à qui Dieu le donne
et non à celui qui le cache et enfouit.
Nul ne doublera son avoir
sans grande chance, pour le moins.
C’est par chance que le vilain
eut deux vaches, et le prêtre aucune.
Tel croit avancer qui recule.

Dernière minute : Le fabliau respecte le schéma narratif

En effet, le fabliau comporte l'ensembles des cinq étapes constituant une histoire.
  1. La situation initiale présente
    • les personnages (quelques adjectifs sur leurs qualités et leurs défauts)
    • l'époque (le moyen-âge)
    • le lieu et le moment
  2. L'élément perturbateur bouleversant la situation de départ
  3. Les péripéties désigant une succession d'événements
  4. L'élément de résolution correspondant à la clôture de la série des événements : une solution est trouvée
  5. La situation finale.

QU'EST CE QU'UN FABLIAU

Le mot Fabliau est un diminutif du mot fable, du latin fabula. Il s'agit d'un récit, d'une histoire. Les fabliaux sont des petits contes "rigolos", narrant une histoire en générale courte, dont on peut tirer une morale. Presque tous les fabliaux ont été écrits par des auteurs anonymes provenant principalement du Nord de la France. Ces récits ne comportent que peu de personnages.